Les discussions allaient bon train et comme toujours, le repas fut excellent. Il faut dire que Mme Sorin, était un véritable cordon bleu, ce que Keïl ne manqua pas de souligner.
Le dîner se termina bientôt autour d’une extraordinaire tarte aux mûres sauvages. Tous reconnurent la recette favorite de Leïla qui fut elle aussi très largement félicitée par les nombreux gourmands présents. La jeune fille en rougit, ce qui donna l’occasion à Vika qui travaille au pressoir de la taquiner gentiment en disant que « sa tarte lui donnait de belles couleurs », ce qui fit bien évidemment éclater de rire toute la tablée. La jeune femme se cacha derrière ses mains alors que ses joues viraient à l’écarlate. Farrick fit un clin d’œil à Vika :
— Je crois qu’il va falloir maintenant que tu consoles Leïla !
— Il va te falloir beaucoup de fleurs pour te faire pardonner ajouta un autre.
— Même avec des fleurs ce n’est pas gagné, renchérit un troisième.
Regardant entre ses doigts ses amis s’invectiver cordialement, elle n’osait plus bouger.
Un bref coup de cloche vint couper court à ces plaisanteries. C’était Mme Sorin qui ayant eu pitié de la jeune femme, sonnait avec un peu d’avance la fin du repas.
— Laissez Leïla tranquille et retournez au labeur bande de gloutons ! gronda-t-elle. Allez, allez ! insista-t-elle, ce n’est pas tout, mais il faut tout ranger ici. Allez, oust, dehors !
Leïla essuya d’un revers de main les larmes d’hilarité qui avaient peine à tarir et profita de cette intervention pour s’éclipser dans la cuisine.
— À vos ordres Mon Lieutenant ! lui lança Keïl en l’embrassant sur la joue, tandis que chacun quittait la pièce. Et merci pour ce bon repas, lui glissa-t-il plus doucement au creux de l’oreille.
— Allez file ! répondit la vieille dame un peu gênée.
[…]
Keïl rejoignit Vika pour l’aider à renouveler l’eau des bains de désamérisation des olives. Cette étape importante dans la préparation de l’huile et des olives de table était la spécialité de Vika qui était son aîné de trois années seulement. Ils avaient tous deux grandi ensemble et étaient devenus comme des frères. Ce travail se faisait dans une grande cave, à la naissance d’une source qui s’épanchait abondamment. Le point d’eau avait été scindé en deux flux. Une partie servait dans la cave au nettoyage et aux bains des olives tandis que l’autre partie alimentait un profond bassin caché sous le préau de la bâtisse, constituant une abondante réserve d’eau potable.
[…]
Les deux jeunes gens étaient debout sur le bord des larges bacs de bois faisant penser à de solides tonneaux sertis et coupés en leur milieu. Armés d’une longue pagaie, ils brassaient les olives qui emportées dans un tourbillon semblaient filer dans un torrent.
— Tu y es allé fort ce midi avec Leïla ! lança Keïl en brisant le silence. Tu aurais pu la consoler, fit-il taquin en se mordant la lèvre inférieure pour se retenir de s’esclaffer.
— Que me chantes-tu là ? rétorqua Vika soudainement sur la défensive.
— On dirait que j’ai mis dans le mille, renchérit Keïl. Tu n’aurais pas un petit faible pour cette charmante demoiselle ? fit-il en lui lançant un clin d’œil malicieux.
— Que vas-tu t’imaginer ? se défendit Vika dont les joues viraient au rose.
— Tu rougis ! lui lança Keïl en le poussant doucement avec sa pagaie.
— Tu imagines des choses ! rétorqua Vika, plus fort qu’il ne l’aurait voulu.
— Allez ! Dis-moi ! Avoue, tu l’aimes bien, Mademoiselle LEÏLA ! fit-il en roulant de grands yeux alors qu’il prononçait lentement son prénom.
— Arrête tes bêtises Keïl ! L’occasion était trop belle de la taquiner c’est tout ! insista-t-il une fois encore.
— C’est tout vraiment ? Même pas un tout petit émoi au fond du cœur ?
Cette fois-ci, Keïl ne put contenir un éclat de rire et manqua de rejoindre les olives dans le bain en glissant sur la bordure du bac. Il récupéra son équilibre de justesse en se repoussant à l’aide de la pagaie. Amusé, Vika tenta de le faire tomber dans l’eau en frappant le manche, mais son ami avait déjà retrouvé son équilibre et amortit le choc en lâchant prise d’une main. Promptement, il sortit sa pagaie de l’eau et engagea le combat.
Tournant autour des bacs sur les fines bordures, les deux jeunes gens luttaient pour éviter de prendre un bain forcé. Si Keïl avait l’avantage du maniement des armes, Vika avait l’avantage de l’équilibre.
Après plusieurs échanges que chacun avait su contrer avec doigté, Vika parvint à déséquilibrer Keïl. Ce dernier plongea la pagaie au fond du bac et s’en servant comme d’une perche parvint à sauter un peu plus loin. Vika s’approcha pour lui donner le coup final, alors que son adversaire se redressait. Soudain, son pied glissa et Keïl en profita pour le pousser vers l’intérieur du bac. Vika lui agrippa le bras pour l’entraîner dans sa chute, mais Keïl se pencha dans le vide en faisant contrepoids. Se tenant par les manches, ils trouvèrent un équilibre précaire qui leur arracha des mimiques grotesques, mais leur permit d’éviter la dégringolade. Ils se regardèrent un instant, inquiets. Soudain, l’expression grimaçante du visage de Keïl se mua en sourire de victoire. Il fit un moulinet du poignet qui força Vika à lâcher prise. Ce dernier compris trop tard ce qui venait de se passer et ne put que pousser un « Non ! » retentissant avant de plonger dans l’eau à la renverse. Keïl sauta en arrière et atterrit, les deux pieds joints sur le sol terreux de la cave.
Trempé jusqu’aux os, Vika partit en secouant la tête et se glissa derrière un tonneau pour se changer.
— Même pas une petite palpitation ? Ajouta Keïl provocateur.
Son ami lui lança ses habits trempés à la figure, mais il les esquiva. Ils partirent tous deux dans un fou rire qui ne cessa que plusieurs minutes plus tard avec le ventre douloureux.Soudain, Keïl fut profondément troublé…
Enfants de l’Origine – T.1 « La Perle de Ventelrude » (p.10-12)
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